Dans son dernier rapport de février 2011, le WIPO (World International Patents Organisation) a enregistré pour 2010 le dépôt de 162.900 brevets internationaux contre 155.398 en 2009, soit une augmentation de + 4,8 %. Une évolution intéressante qui bouscule un certain nombre d’idées reçues sur l’innovation et la dynamique de croissance des pays développés et des pays émergents.
Les Etats-Unis restent en tête du classement du WIPO avec 44.855 brevets déposés, suivis par le Japon (32.156), l’Allemagne (17.171), la Chine (12.337), la Corée (9.685) et la France (7.193).
Un palmarès qui recouvre des évolutions contrastées.
Une accélération de la diversification géographique des activités innovantes en Asie avec un nombre de brevets en croissance de + 56,2 % pour la Chine, + 20,5 % pour la Corée, + 7,9 % pour le Japon.
Une performance plus contrastée pour les pays occidentaux avec, à l’exception de l’Allemagne (+ 2,2 %, 17.171) et du Canada (+ 7,1 %, 2.707), une décélération pour les Etats-Unis (- 1,7 %, 44.855), la France (- 0,6 %, 7.193), le Royaume-Uni (- 3,7 %, 4.587), les Pays-Bas (- 8,2 %, 4.097), la Suisse (- 1,6 %, 3.611) et la Suède (- 11,6 %, 3.512).
Un déséquilibre dans les technologies associées aux innovations. Sur les 35 technologies retenues par le WIPO, 5 seulement connaissent une augmentation du nombre de brevets déposés :
Digital Communications (+ 17,3 %, 10.581)
Medical Technology (+ 0,1 %, 10.465)
Semi Conductors (+ 4,2 %, 5.847)
Materials Metallurgy (+ 3,8 %, 2.589)
Thermal Processes & Apparatus (+ 0,8 %, 2.379)
Les 30 autres technologies enregistrent toutes une baisse assez surprenante touchant les quatre principaux domaines d’innovation :
Electrical Engineering : Telecommunications (- 15 %, 6.230), Computer Technology (- 7,1 %, 9.540)
Instruments : Measurement (- 5,5 %, 6.377), Optics (- 3,1 %, 4.178)
Chemistry : Pharmaceuticals (- 7,4 %, 7.843), Biotechnology (- 1,5 %, 5.206), Environmental technology (- 3,8 %, 2.131)
Mechanical Engineering : Transport (- 6,5 %, 5.455), Mechanical Elements (- 3,2 %, 4.002)
Quelles leçons en tirer ?
Que les industries de haute technologie soient en régression relative au profit notamment des Technologies de Communication Digitale, ce n’est pas surprenant comme le soulignait dans un récent article du Cercle Les Echos, l’Association Scientifique présidée par Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine en 2008.
Qu’un basculement des pôles de croissance technologiques et géostratégiques soit en cours, personne ne le niera. Mais est-ce pour autant que les cartes sont battues de façon inéluctables et définitives ? Rien n’est moins sûr s’agissant de la partie en cours.
La dynamique de l’innovation est essentielle en tant que catalyseur de la croissance et du développement, mais d’autres dynamiques ont à l’œuvre, dont il convient de bien mesurer les effets sur l’innovation elle-même.
Dynamique de l’innovation
Schumpeter, dans une vision qui reste tout à fait d’actualité (Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung , 1911 –Business cycles, 1939), considère que la dynamique de l’innovation résulte de deux paramètres :
Premier paramètre : la propension à innover, qui dépend de plusieurs facteurs : facteurs humains (esprit créatif, goût du risque, du dépassement et de l’aventure), facteurs technologiques (développement de la recherche fondamentale et appliquée), facteurs financiers (allocation de ressources), propension à innover de l’Etat et des entreprises, grandes et petites.
Deuxième paramètre : la réceptivité à l’innovation, qui conditionne sa diffusion plus ou moins rapide. En d’autres termes, la capacité à détecter les besoins du marché et à y répondre au mieux par les applications technologiques les plus performantes. Celle-ci est largement tributaire de l’environnement économique et social du pays considéré, mais également de son mental
En se référant aux statistiques du WIPO, force est de constater que le basculement des pôles de croissance en faveur des BRICS n’a pas encore entamé les capacités d’innovation des pays occidentaux, même si les challengers sont bien présents. Il convient au passage de souligner que la France conserve dans ce concert un rang tout à fait honorable en dépit de sa taille.
Qu’en est-il au niveau de la dynamique des groupes sociaux ?
Dynamique des groupes sociaux
Les classes moyennes sont un autre catalyseur fondamental de la croissance et du développement pour peu que l’environnement politique, légal et réglementaire n’entrave pas leur esprit d’initiative, leur capacité à innover et à investir.
C’est toute la problématique du rythme de développement des classes intermédiaires dans les pays émergents : Chine, Inde, Brésil pour n’en citer que quelques exemples. C’est également toute la problématique du partage de la valeur ajoutée créée et de la résorption plus ou moins rapide de poches de sous-développement et de pauvreté de nature à impacter le potentiel et le rythme d’innovation d’un pays.
Côté pays occidentaux, la situation est d’une autre nature avec des populations dont l’esprit d’initiative, pourtant bien présent, peut être déstabilisé par une série de facteurs qui vont de la démobilisation au sentiment de perte de confiance en leur capacité à rebondir dans un contexte de récession.
Dynamique de domination
La troisième dynamique, celle de la domination, s’exerce au travers du développement et de l’articulation de pôles d’excellence variés : pôles universitaire et de recherche, pôles financiers, pôles industriels, miniers, portuaires, commerciaux, internes ou externes au territoire du pays considéré. Sans oublier leur puissant corollaire : le rayonnement culturel, intellectuel et bien sûr sportif, souvent générateur d’un sentiment de supériorité.
Cette dynamique de domination trouve bien entendu ses fondements dans une spirale vertueuse de croissance. Mais c’est avant tout un état d’esprit qui se cultive à tous les niveaux d’une nation, quels que soient les succès et les échecs qui jalonnent son histoire politique et économique, sociale et culturelle.
Cette dynamique, assez forte dans les pays émergents, peut être vécue comme une fragilité dans les pays occidentaux. C’est pourtant une donnée majeure en termes d’état d’esprit. Mais là aussi, les tendances sont heureusement réversibles.
Dynamique démographique
Enfin, la dynamique démographique reste une donnée essentielle dans le développement des forces motrices d’une économie.
A ce titre, la distinction entre populations nombreuses ou numériquement faibles, jeunes ou vieillissantes, rejoint souvent celle des pays en croissance ou en régression. Tout en sachant que le vieillissement des populations est une menace qui pèse tout autant sur des pays comme le Japon ou la Chine que sur l’Allemagne.
Et si les liens de cause à effet ne sont pas aussi nets, il n’en demeure pas moins que toute dynamique démographique induit un accroissement de la production, de la consommation et de l’investissement. Elle induit également un accroissement des forces vives qui sont autant de forces d’innovation pour peu que tous les ingrédients nécessaires à leur épanouissement répondent à une alchimie souvent complexe et fragile comme en témoignent le malaise et l’agitation qui prévaut dans de nombreux pays du globe, développés ou émergents.
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Démographie, vitalité des groupes sociaux, esprit de domination, capacités d’innovation, tous ces forces dynamiques résonnent en écho dès lors qu’il s’agit de décrypter la course aux avantages comparatifs à laquelle se livrent pays émergents et pays développés : R&D, acquisition de hautes technologies, mais également diversification d’actifs financiers, achat de ressources énergétiques et de matières premières, absorption de marchés intégrés et d’instruments logistiques et commerciaux déterminants pour les échanges.
Mais redonnons aux choses leur juste dimension et gardons à l’esprit les données objectives que représentent les statistiques du WIPO’s Patent Cooperation Treaty.
Leur analyse montre qu’en dépit d’une diversification géographique des activités innovatrices vers l’Asie, le capital cognitif des pays occidentaux reste considérable, qu’il s’agisse de technologies innovantes civiles ou militaires.
Il est indispensable de renforcer à tous les niveaux de nos sociétés la perception et la conscience de ce capital.
Cela suppose que l’on mette un terme à un pessimisme ambiant souvent auto-entretenu et que l’on apprenne à déjouer les pièges médiatiques d’une désinformation de nature à anesthésier toute conscience de nos forces vives, voire toute confiance en nos capacités innovatrices.
Gilles Bouchard
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